Lucien Bourgeois,

est économiste, secrétaire de la section « Economie et politique » de l’Académie d’agriculture de France. Face au trublion Donald Trump, il estime que les dirigeants européens devraient opérer une sérieuse remise en cause de l’UE, pour construire une puissance communauté, y compris agricole. « Un Etat sans l’UE ne peut rien ».

Les frasques du président américain ont au moins un mérite : interroger les chefs d’Etat sur leur stratégien et l’avenir des blocs géopolitiques, voit Lucien Bourgeois. Le refus de Donald Trump de signer un accord du G7 rallonge la liste des casse-têtes de l’UE : « L’embargo russe, le Brexit, les immégrés de Syrie, les difficultés italiennes et espagnoles à former des gouvernements stables… » Il oblige les dirigeants de l’UE à sortir d’un confort politico-économique hérité de l’après-guerre. « Ce confort date de soixante-dix ans. Les Etats-Unis ont permis à l’Europe de se reconstruire, puis de devenir une puissance économique, face à Staline d’abord. Aujourd’hui, comment construire ensemble sans ennemi commun ? »

« Plus aucune raison de nous faire de cadeaux »

Au plan Marshall (l’équivalent de  173 milliards d’euros versés de 1947 à 1951), a succédé un geste motivé par la Guerre Froide. « Les Etats-Unis ont accepté des droits de douane exorbitants sur les céréales qui ont permis aux pays européens de devenir autosuffisants grâce à la PAC. Cela fait bientôt trente ans que le mur de Berlin est tombé. Les Américains n’ont plus aucune raison stratégique de nous faire de cadeaux. »

D’autant moins que leur déficit commercial « représente 5% de leur PIB » et qu’il a, vis-à-vis de l’UE, « triplé en dix ans » -même sur les produits agroalimentaires, « alors que l’UE dispose de deux fois moins de terres cultivales ». En 2017, ce déficit avec l’UE s’élève à 11 milliards d’€ ‘3.5 Mds avec la France). « On ne peut avoir des excédents et déficits durables de la balance commerciale. Le but à atteindre est un certain équilibre. »

« Est-on capable de recréer notre autonomie ? »

Donald Trump ne fait donc que brusquer l’inévitable. « Clinton aurait fait pareil ! Peut-être pas de la même manière… M. Trump précipite une UE en inertie face à ses responsabilités : elle reste une grande puissance mondiale en termes de PIB, mais comme elle n’a pas de gouvernement, elle ne dispose pas de marges de manœuvre économiques. L’UE reçoit 1% du PIB national de chaque Etat membre, c’est ridicule ; elle ne peut piloter une stratégie. »

L’agriculture mérite d’intégrer les grandes questions d’avenir. La prochaine réforme de la PAC offre cette opportunité. « On est obligé de jouer totalement cartes sur table, jusqu’au système des aides directes. L’environnement, etc…, c’est un peu du folklore. Le défi touche de tout autres dimensions : est-on capable, oui ou non, de recréer notre autonomie ? De se passer de soja ? On pourrait reconvertir pas mal de céréales en colza… »

Les Européennes de 2019 ne répondront pas directement à ces enjeux. « Le Parlement européen a très de peu poids. Mais elles sont un indicateur de tendances ». Au Conseil des chefs d’Etat revient la responsabilité de « créer une valeur centripète pour pouvoir peser face à Trump ».

 

Propos recueillis par Frédéric Gérard

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