Et si demain il n’existait plus de paysan à des kilomètres à la ronde ! Ces jardiniers de la France, comme nous sommes appelés.

C’est ce qu’il risque d’arriver si nous ne faisons rien. Le salon de l’agriculture s’est clôturé en mars dernier et depuis, les élections occupent et deviennent omniprésentes dans l’esprit des gens. Et nous dans tout cela ! Et bien nous continuons de travailler et de mourir. Les dettes, le travail, le désespoir et la fatigue persistent à ponctuer notre vie, sans nous laisser un seul moment de répit. Malgré nos efforts pour s’en extirper, ces maux s’enracinent jusqu’à nous être fidèles et deviennent nos compagnons de vie, ma foi, peu cocasse. Quelle drôle d’injustice, ne trouvez-vous pas ? En tant qu’agriculteur, nous travaillons pour nourrir le peuple, au détriment de notre survie. Nous sombrons dans le travail de façon à oublier que nous sommes des « oubliés ». Se perdre dans le tourbillon du « trop plein » afin d’éviter de trop penser.

De façon à ce que vous puissiez comprendre mon interrogation à la question de notre disparition voici, en exemple, quelques chiffres pour imager ma réflexion sur le « Et si … »

-74% est la baisse en pourcentage du nombre d’exploitations agricoles spécialisées dans l’élevage de bovins pour le lait.

-53% est la baisse en pourcentage du nombre d’exploitation agricoles spécialisées dans l’élevage de bovins pour la viande en 25 ans.

Soit près de deux tiers des exploitations spécialisées dans l’élevage bovins (viande, lait et mixte).

Le nombre des autres élevages ou exploitations viticoles a aussi fortement chuté :

-48% pour les ovins et caprins.

-51% pour la viticulture

-57% pour les porcins et volailles

Les exploitations spécialisées dans les grandes cultures, qui représentent 27% du total des exploitations agricoles, souffrent un peu moins de cette érosion puisque leur nombre baisse de « seulement » 31%.

Ces relevés ont été estimés entre 1988 et 2013 [1]

La question se trouve être dorénavant posée. Il est donc primordial de remettre les pendules à l’heure et de revenir aux points fondamentaux : Qu’est ce qu’un paysan pour la mémoire commune ?

Le terme de « paysan » apparaît pourtant comme une notion évidente et résonne dans notre imaginaire. On y retrouve un individu à côté de son tracteur, avec une fourche, des bottes pleines de terre, vêtu d’un maillot de corps sans manche et d’une casquette. Chez la paysanne, celle-ci porte un fichu sur la tête, s’occupe des bêtes et des enfants pendant que son époux travaille dans les champs. On reproche surtout à ces personnages d’être du genre ringards, voire incultes, retirés du monde urbain et menant une vie harassante et non choisie. Il n’en est rien.

Le terme « paysan » ne se résume pas à ces clichés absurdes. Employer ce terme revient à mettre en lumière un savoir-faire, un attachement profond à son terroir et au territoire. Pour ma part, être paysan désigne avant tout un métier, celui d’agriculteur. Un paysan est à la fois un éleveur et/ou cultivateur. Il produit en majorité des matières premières et dont ces matières sont, par la suite, transformées via l’industrie agroalimentaire. Il existe aussi une autre catégorie d’agriculteurs qui cultive des produits alimentaires bruts ou transformés sur place, sans passer par les chaînes de l’industrie, permettant de cette façon, aux personnes qui le souhaitent d’acheter directement chez le producteur.

En présentant ainsi ma définition du terme « paysan », je tiens à mettre le doigt sur l’importance au combien nécessaire de maintenir et d’accroître la durabilité du domaine agricole et d’éviter à tout prix sa disparition. En effet, ce pluralisme dans le monde agricole favorise un panel de choix où toute personne y trouve son compte et apporte par la même occasion, la création de postes de travail à pourvoir. En France 4 à 5 emplois sont directement lié à l’agriculture.

Pourquoi les politiciens persistent-ils à nous ignorer ? À ce jour, nous, les paysans, ne sommes pas au cœur des préoccupations politiques. Nous avons marqué les esprits à de rares occasions, où les pneus et le fumier venaient à fleurir les routes et les rond-points, mais cela reste de bien maigres manifestations.

Agricultrices et Agriculteurs, à quand une alliance de tous les paysans pour une légitime riposte, une véritable insurrection pacifique ? (Argos n°287 mars 2017).

Notre liberté d’agriculteur, ne devrait-elle pas être l’un des points centrales de notre vie ?

« Il n’y a rien au monde de plus contraire à la nature, toute raisonnable, que l’injustice. La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre [2] »

N’est-il pas normal de remettre au centre des débats les intérêts de l’agriculture ?

Reprenons notre métier et notre liberté de penser. Donnons nous le droit et le devoir d’agir. Pensez qu’en 2020, le métier d’agriculteur nourrira 200 personnes. Déduction faite ! Si l’agriculture n’existe plus, qui prendra en charge de nourrir le peuple ?

Laurence Cormier

2 Discours de la Servitude volontaire Étienne de La Boétie [http://www.singulier.eu/]

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