2015 REJETÉE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
N° 472
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mars 2016 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi, REJETÉE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE, en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire,
Par M. Daniel GREMILLET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir, président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard, vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido, secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet. |
Voir les numéros :
Sénat : |
Première lecture : 86, 216, 217 et T.A. 51 (2015-2016)
Deuxième lecture : 371 et 473 (2015-2016) |
|
Assemblée nationale (14ème législ.) : Première lecture : 3340, 3448 et T.A. 674 |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Adoptée par le Sénat le 9 décembre 2015, la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire a été examinée par l’Assemblée nationale début 2016, et rejetée par adoption d’une motion de rejet préalable par les députés le 4 février dernier. Elle a donc été transmise au Sénat pour une deuxième lecture sans modification de ses 23 articles.
Votre rapporteur est surpris du choix fait par la majorité à l’Assemblée nationale de refuser de débattre sur le fond des dispositions de la proposition de loi. L’ampleur de la crise agricole, en particulier dans le secteur de l’élevage, justifie en effet d’apporter sans attendre une réponse structurelle, au-delà des mesures conjoncturelles. Comme le soulignait le rapporteur de l’Assemblée nationale sur cette proposition de loi, Antoine Herth, ce texte « a pour ambition de répondre aux attentes de nos agriculteurs et de nos éleveurs, mais également, au regard de la crise que nous vivons, de compléter les mesures d’urgence engagées par le Gouvernement ».
Cette proposition de loi vise aussi à contribuer au débat nécessaire sur les réorientations de la PAC après 2020. Le refus des députés d’en discuter en séance publique ne peut que fragiliser la position de la France par rapport à cet enjeu.
Depuis 1992, la politique agricole commune (PAC) a évolué vers un démantèlement progressif des instruments de régulation de la production, pour être de plus en plus orientée par les marchés. Cette orientation ne s’est pas démentie avec la dernière réforme de la PAC, qui a confirmé la suppression des quotas laitiers, programmé la fin des quotas sucriers, et n’a maintenu des instruments d’intervention ou d’aide au stockage que dans certains secteurs et dans des conditions très encadrées. Ce contexte contraint les agriculteurs à faire face à une concurrence plus rude au sein de l’Union européenne mais aussi avec les autres pays agricoles du monde.
Que cela plaise ou non, la compétitivité constitue un impératif, et le défaut de compétitivité un danger mortel pour notre agriculture. La discussion de la présente proposition de loi aura au moins eu comme mérite de mettre en évidence cette nécessité.
L’enjeu ne se limite d’ailleurs par à l’agriculture, car l’industrie agroalimentaire doit faire face, elle aussi, à cet enjeu majeur d’adaptation aux conditions nouvelles de concurrence. Or, l’industrie agroalimentaire constitue le débouché naturel des productions agricoles, et contribue de manière indispensable à l’animation économique des territoires ruraux. L’amont agricole et l’aval industriel ont donc destin lié, jusqu’au consommateur. La proposition de loi vise aussi à améliorer l’équilibre des relations commerciales entre acteurs des filières, même si elle n’est pas allée jusqu’à proposer une remise en cause de la loi de modernisation de l’économie (LME), dont l’objet va bien au-delà des produits alimentaires.
L’analyse des articles de la proposition de loi ayant déjà été effectuée dans le rapport présenté en première lecture, et l’Assemblée nationale n’ayant pas modifié le texte voté au Sénat, le présent rapport consiste plutôt à mettre en évidence les compléments apportés lors de la première lecture au Sénat. Plusieurs dispositions proposées ont été depuis reprises par le Gouvernement, parfois sous des formes un peu différentes. Cela prouve que la proposition de loi a été utile, en jouant un rôle d’aiguillon sur plusieurs sujets :
– en matière de relations commerciales, une évolution des dispositions de la loi de modernisation de l’économie (LME) a été annoncée et devrait être discutée dans le cadre du projet de loi pour la transparence de la vie économique (Sapin II) ; le même texte devrait imposer l’incessibilité des contrats laitiers à titre onéreux, proposée à l’article 1er bis ;
– un décret imposant aux transformateurs et distributeurs l’indication de l’origine de la viande et du lait en tant qu’ingrédients dans les produits transformés devrait être publié dans les prochaines semaines, répondant à la préoccupation exprimée à l’article 3 ;
– la déduction pour aléas (DPA) a ainsi été assouplie à l’article 35 de la loi de finances rectificative pour 2015 dans le même sens que celui proposé à l’article 6 ;
– un dispositif exceptionnel d’amortissement accéléré de l’investissement dans les bâtiments d’élevage et les installations et matériels de stockage des effluents a été créé à l’article 31 du même texte, créant un article 39 quinquies FB du code général des impôts, comme proposé à l’article 7 ;
– un assouplissement du régime des installations classées pour la protection de l’environnement concernant les bovins a été annoncé mi-février par le Premier ministre : le seuil d’autorisation devrait passer à 800 animaux pour l’élevage bovin allaitant et 400 pour les vaches laitières, tandis que le régime de déclaration avec contrôle périodique disparaîtrait : ces annonces vont dans le sens de l’article 8, visant à alléger les normes applicables aux agriculteurs ;
– à la veille du salon de l’agriculture 2016, le Président de la République a annoncé une baisse de 7 points des charges socialessupportées par les agriculteurs, répondant en partie à la demande exprimée à l’article 9.
Au-delà de mesures européennes de régulation, qu’il faut pouvoir obtenir à Bruxelles, la proposition de loi peut être encore enrichie, notamment pour mieux protéger les agriculteurs face aux conséquences de la crise et renforcer la solidité des exploitations. C’est pourquoi votre rapporteur a proposé quelques modifications, restant dans l’esprit de la proposition de loi initiale.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UN TEXTE ENRICHI DÈS SA PREMIÈRE LECTURE AU SÉNAT.
A. LES AXES DE LA PROPOSITION DE LOI : REDONNER DES MARGES DE MANoeUVRE ÉCONOMIQUES AUX FILIÈRES AGRICOLES.
Avec 13 articles, la proposition de loi initiale contenait des dispositions de portée plus structurelle que conjoncturelle. Aucune d’entre elles n’avait vocation à révolutionner le fonctionnement des filières agricoles, mais toutes étaient orientées vers une amélioration de la compétitivité de l’agriculture et de l’agroalimentaire, à travers des instruments directs comme la réduction de charges ou de normes, ou des instruments indirects comme la facilitation de l’investissement ou encore une meilleure prise en compte des différents maillons de la chaîne d’approvisionnement en produits alimentaires.
La proposition de loi retenait une approche large de la compétitivité : il s’agit bien sûr d’améliorer la compétitivité-prix, en recherchant une meilleure maîtrise des coûts de production.
Mais il s’agit aussi de favoriser la compétitivité hors-prix, notamment en valorisant mieux l’origine des produits agricoles et alimentaires, à travers un étiquetage obligatoire des produits transformés.
Les articles de la proposition de loi étaient répartis en trois blocs de dispositions :
· Une première série de dispositions concernait les relations entre acteurs des filières. Ces relations sont extrêmement déséquilibrées : un grand nombre d’agriculteurs, produisant des denrées périssables et disposant de ce fait de peu de capacité de stockage, dépendent d’un faible nombre de clients potentiels. En outre, ces clients transforment les produits agricoles bruts en produits élaborés, et sont engagés à leur tour dans un rapport de force économique déséquilibré avec quatre grandes centrales d’achat de la grande distribution, qui représentent plus de 80 % des débouchés finaux.
Les dispositions législatives proposées ne visent pas à changer radicalement les rapports de force, la tâche n’étant pas possible, mais exigent davantage de transparence en vue d’un meilleur équilibre, à travers la prise en compte des coûts de production des agriculteurs dans les formules de calcul des prix des contrats rendus obligatoires en application de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime (article 1er).
Elles visent aussi à obliger les acteurs des filières à se rencontrer, non pas pour organiser des ententes sur les prix, prohibées par le droit de la concurrence, mais pour établir des référentiels communs et esquisser des stratégies de filière, qui font aujourd’hui cruellement défaut (article 2).
Enfin, la proposition de loi instaure une plus grande transparence sur les produits alimentaires en mettant en place une obligation d’information du consommateur a posteriori et sur sa demande, sur l’origine des produits laitiers et carnés proposés en magasin, l’obligation incombant de manière solidaire à l’industriel et au distributeur (article 3). Cette disposition contourne l’interdiction d’imposer un étiquetage de l’origine en dehors des cas prévus par la réglementation européenne.
· Une deuxième série de dispositions avait pour objectifs de mieux gérer les risques en agriculture et faciliter l’investissement, à travers plusieurs instruments nouveaux comme la création d’un livret vert pour drainer l’épargne populaire vers les secteurs agricole et alimentaire (article 5), ou encore un droit nouveau pour les agriculteurs de reporter les échéances, hors intérêt, des emprunts qu’ils ont souscrits pour financer leurs investissements, lorsqu’ils sont touchés par des crises (article 4). La proposition de loi visait aussi à assouplir les conditions d’utilisation de la déduction pour aléas (DPA) dans un cadre juridique rénové (article 6), et prévoyait d’encourager le renouvellement des bâtiments d’élevage en étendant aux investissements dans des bâtiments réalisés par des agriculteurs ou des coopératives, le bénéfice du suramortissement Macron (article 7).
· Une dernière série de dispositions visait enfin à réduire les charges des agriculteurs, qu’elles soient administratives ou financières. Ainsi, la proposition de loi proposait de mettre fin à la sur-transposition des directives européennes en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement touchant l’élevage (article 8) et imposait au Gouvernement de faire adopter chaque année en conseil supérieur d’orientation un plan de simplification des normes applicables à l’agriculture (article 12), réinstaurait l’exonération dégressive de charges patronales sur les salariés agricoles permanents instituée en 2012 et jamais appliquée (article 9), étendait de 5 à 6 ans l’exonération de charges dont bénéficient les jeunes agriculteurs (article 10), et permettait la remise en cause en 2015 de l’imposition des agriculteurs à la moyenne triennale, pour tenir compte des effets de la crise (article 11).
Il s’agissait donc d’agir sur de multiples leviers permettant de redonner des marges de manoeuvre aux agriculteurs et aux filières agricoles et alimentaires, dans un contexte marqué par une forte dégradation des marchés, phénomène que la PAC n’était pas en mesure de contrecarrer.
Votre rapporteur note que le volet relatif à l’allègement des normes en agriculture, consistant notamment à supprimer les sur-transpositions de textes européens, est également porté par les pouvoirs publics. Ainsi, dans son discours du 3 septembre dernier, le premier ministre Manuel Valls indiquait que : « l’urgence, c’est aussi la simplification des normes. Car l’excès de réglementations joue contre nos exploitations dans la concurrence européenne et mondiale […]. Nous devons garantir à nos agriculteurs qu’ils sont soumis aux mêmes règles que nos voisins européens. Une nouvelle méthode sera définie pour février 2016, fondée en particulier sur la mise en place de tests et sur l’expérimentation. Le but est d’associer très en amont les professionnels agricoles à la définition des mesures qui les concernent. Je le dis très clairement : il ne peut plus y avoir de surtransposition […]. D’ici février – et c’est une pause – aucune mesure nationale allant au-delà des obligations européennes ne sera prise ». Le Sénat doit exercer la plus grande vigilance sur la tenue de cet engagement au quotidien dans la conduite de la politique agricole mais aussi des autres politiques, comme la politique de l’eau ou encore la politique en faveur de la biodiversité, qui peuvent avoir des effets majeurs sur le secteur agricole.
B. LES PRINCIPAUX APPORTS DE LA PREMIÈRE LECTURE AU SÉNAT.
La première lecture au Sénat a permis d’améliorer les dispositions du texte initial et de proposer des compléments pour répondre à l’enjeu d’amélioration de la compétitivité des filières agricoles et alimentaires.
· D’abord, le Sénat a instauré, à l’article 1er bis, une interdiction de la cession à titre onéreux des contrats laitiers entre producteurs. En effet, le système des quotas laitiers a régulé depuis 1984 l’organisation de la production laitière. Ce dispositif administratif d’encadrement a été supprimé depuis le 1er avril 2015. Désormais, les agriculteurs ont la liberté de produire les quantités de lait qu’ils souhaitent, mais les laiteries ont l’obligation de leur proposer un contrat long pour acheter le lait ainsi produit, offrant une garantie de débouché durant la période d’exécution du contrat. Dans le contexte de désorganisation du marché laitier, est apparue une pratique de « marchandisation » des contrats d’achat de lait entre producteurs et acheteurs, ce qui contribue à l’alourdissement des charges des producteurs. A l’initiative de votre rapporteur, la cession à titre onéreux des contrats conclus en application de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime a été rendue inopérante, d’abord en obligeant les acheteurs qui acceptent un changement de producteur dans le cadre d’une reprise d’exploitation, à proposer un nouveau contrat aux mêmes conditions, et ensuite en permettant l’interdiction par décret de la cession à titre onéreux.
· Ensuite, le Sénat a adopté en séance, à l`initiative de notre collègue Daniel Dubois, deux articles 2 bis et 2 ter modifiant la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques : le premier article prévoit que les établissements qui refusent de se soumettre aux enquêtes obligatoires du service statistique public affichent publiquement leur refus afin que le public puisse en prendre connaissance et le second article prévoit la publication, par l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, de la liste des établissements refusant de se soumettre aux enquêtes statistiques. Avec ces deux dispositifs, il s’agit d’encourager davantage de transparence des acteurs économiques, dans le but de favoriser une plus grande confiance sur les mécanismes de partage de la valeur ajoutée entre les différents maillons des filières agricoles et alimentaires.
· Afin de diversifier l’offre de financement du secteur agricole, en particulier le financement de l’installation des jeunes agriculteurs, le Sénat a également adopté à l’initiative de Daniel Dubois et de votre rapporteur un amendement créant l’article 5 bis, qui demande au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur le développement de mécanismes de prêts de carrière. Les prêts agricoles classiques sont en effet proposés aujourd’hui pour des durées trop courtes, qui impliquent pour les jeunes agriculteurs de très lourdes charges de remboursement, compte tenu de l’importance croissante des capitaux à mobiliser pour la reprise d’une exploitation agricole. La recherche de solutions innovantes de financement est indispensable pour permettre le renouvellement des générations en agriculture, tout en préservant le modèle des fermes familiales.
· Le Sénat avait aussi relevé le plafond des déductions pouvant être pratiquées au titre de la réserve spéciale d’exploitation agricole (RSEA) remplaçant la déduction pour aléas (DPA) ou de la déduction pour investissement (DPI), en adoptant un amendement à l’article 6, à l’initiative de notre collègue Michel Canevet. Cet amendement allait dans le sens de l’amélioration des conditions d’utilisation de la RSEA déjà proposées en commission par votre rapporteur.
· Afin de favoriser la gestion des risques, le Sénat avait adopté en commission, à l’initiative de votre rapporteur, un article 6 bisinstaurant une obligation d’assurance contre les risques climatiques pour les jeunes agriculteurs.
· Par ailleurs, le Sénat a renforcé le volet relatif à la simplification des normes et à l’allègement du carcan normatif. En séance, a été adopté à l’initiative de notre collègue Daniel Dubois un amendement créant l’article 8 bis A, qui fixe un double principe : tout d’abord, toute création de nouvelle norme dans le domaine agricole doit être compensée par la suppression d’une norme existante ; ensuite, le bilan des créations et destructions de normes en matière agricole doit être présenté publiquement chaque année.
Il s’agit d’une disposition symbolique, dont la mise en oeuvre est difficile, mais qui marque une volonté politique de simplification. Une telle démarche a été mise en oeuvre dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni. Pourquoi la France n’en serait pas capable ?
Votre commission avait aussi adopté, à l’initiative de votre rapporteur, un amendement proposant d’expérimenter jusqu’à 2019 l’alignement de la formulation en droit national des exigences en matière d’études d’impact dans le secteur de l’élevage sur les dispositions des textes européens, afin de prévenir toute divergence d’interprétation et de supprimer tout risque de sur-transposition des directives 2010/75/CE et 2011/92/UE. Cet amendement est devenu l’article 8 bis.
· En matière de réduction des charges fiscales et sociales des agriculteurs, plusieurs dispositions avaient été adoptées pour permettre aux chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole de bénéficier d’une exonération partielle des cotisations d’assurance maladie, invalidité et maternité, à travers une modification de l’article 9 proposée par notre collègue Daniel Chasseing, ou encore pour permettre aux entreprises agricoles de bénéficier à plein du mécanisme du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), à travers un amendement de votre rapporteur créant l’article 9 bis.
Dans le même esprit, le Sénat avait adopté en séance un amendement de notre collègue Daniel Chasseing créant un article 11 bis au sein de la proposition de loi, dont l’objet est de mettre en place une exonération des 60 premiers hectares de chaque exploitation au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB), le coût de cette mesure étant compensée pour les collectivités territoriales par un relèvement à due concurrence des dotations de l’État.
II. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION.
La deuxième lecture ne permet pas de modifier une proposition de loi dans les mêmes conditions qu’une première lecture, du fait de la règle constitutionnelle de l’entonnoir.
Toutefois, le rejet par l’Assemblée nationale de l’ensemble du texte n’interdit pas au Sénat de faire évoluer ses propositions par rapport à la première lecture, dans la mesure où l’ensemble des dispositions restent encore en discussion.
Assez logiquement, votre rapporteur propose de conserver l’essentiel des dispositions de la proposition de loi, qui ont le mérite de défendre l’ambition de filières agricoles et alimentaires plus fortes et mieux organisées. Dans le même esprit, certaines dispositions peuvent encore être améliorées et complétées. Enfin, certaines coordinations doivent être effectuées pour tenir compte d’évolutions législatives intervenues depuis la première lecture en décembre dernier.
A. LE MAINTIEN DE L’ESSENTIEL DES DISPOSITIONS VOTÉES EN PREMIÈRE LECTURE.
1. La délicate question des relations commerciales agricoles et de la contractualisation.
L’instauration de la contractualisation dans le secteur laitier dans le cadre juridique mis en place par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) de 2010 a constitué une véritable révolution dans la filière laitière. La liberté contractuelle des parties est préservée mais dans un cadre normé, fixé par la loi, qui prévoit des clauses obligatoires et sanctionne les contrats « non conformes » d’une amende administrative élevée, fixée à l’article L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime.
La loi consommation du 17 mars 2014, puis la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 ont fait évoluer ce cadre :
– en imposant une clause de renégociation, dont le régime est défini à l’article L. 441-8 du code de commerce, qui impose de rediscuter des conditions contractuelles en cas de variation forte des cours des matières premières agricoles. Ces clauses devaient être intégrées par avenant aux contrats existants avant la fin février 2015 ;
– en permettant l’insertion des contrats individuels passés entre producteur et industriel dans un dispositif collectif défini dans un contrat-cadre passé entre le même industriel et une organisation de producteurs reconnue.
Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de décembre 2015 a dressé le bilan de la mise en oeuvre de la contractualisation dans la filière laitière française et formulé quelques propositions. Sa lecture laisse penser qu’il convient de faire évoluer le cadre juridique de la contractualisation en agriculture de manière prudente.
· Votre rapporteur avait déjà fait évoluer en première lecture l’article 1er concernant la prise en compte des coûts de production dans la contractualisation. Cette prise en compte est une demande ancienne du monde agricole, peu voire pas mise en oeuvre dans la contractualisation. Le rapport du CGAAER précité note ainsi que « les modes de calcul contractuels actuels [des prix] ne font jamais référence aux coûts de production du lait ». Il recommande de « faire évoluer les formules de calcul du prix dans les contrats de 2èmegénération, pour une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les parties ».
La mise en oeuvre de la prise en compte des coûts de production est difficile, et d’ailleurs, même si les contrats ont été mis formellement en conformité, le mécanisme de l’article L. 441-8 du code de commerce, qui relève d’une même logique d’atténuation des effets des variations des conditions de marché pour les producteurs, n’est en réalité pas utilisé par les opérateurs économiques. Les coopératives soulignent de leur côté qu’elles prennent déjà en considération les coûts de production de leurs adhérents, dans la mesure où ceux-ci bénéficient de compléments de prix et de ristournes une fois les résultats de la coopérative connus.
Pour autant, votre rapporteur considère qu’il reste nécessaire de prendre en compte en partie les coûts de production dans les mécanismes de contractualisation, et de ne pas faire figurer dans les formules de prix les seuls indicateurs d’évolution des prix de marché. La formulation de l’article 1er a été assouplie en première lecture afin de ne pas demander que la contractualisation prenne en compte les coûts de production individuels, qui sont disparates. Une telle option aurait été totalement inapplicable. Il s’agit plutôt désormais de « faire référence à un ou plusieurs indicateurs d’évolution des coûts de production », comme l’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (IPAMPA) publié par l’Institut de l’élevage. Ces indicateurs peuvent être d’ailleurs nationaux ou européens. La modification des formules de prix dans les contrats obligatoires définis dans le cadre de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime ne paraît pas une tache insurmontable dans les contrats laitiers de 2ème génération.
· En matière de contractualisation, votre rapporteur a aussi maintenu le principe de l’incessibilité à titre onéreux des contrats laitiers. Une telle disposition devrait d’ailleurs figurer dans le projet de loi « Sapin II ».
Certes, la cessibilité a quelques vertus, notamment celle de permettre aux producteurs l’optimisation des outils de production. Mais la cessibilité encourage une restructuration laitière inorganisée, et peut accélérer la décollecte dans les bassins laitiers en difficulté, même si on ne semble pas observer aujourd’hui de cessions de contrat dans les zones de déprise laitière. Par ailleurs, elle implique pour les producteurs qui ont besoin d’augmenter leur production des coûts supplémentaires, dans une conjoncture difficile.
Pour toutes ces raisons, votre rapporteur a souhaité ne pas remettre en cause l’incessibilité proposée par l’article 1er bis, plutôt que de s’orienter vers un dispositif de cessibilité encadrée, complexe à contrôler.
· Enfin, votre rapporteur n’a pas fait évoluer le texte de la commission sur la contractualisation vers des contrats tripartites obligatoires. Plusieurs initiatives volontaires ont été mises en place depuis quelques mois pour organiser une contractualisation longue impliquant les producteurs, les transformateurs, et les distributeurs : le groupe Auchan, par exemple, a proposé en février dernier une contractualisation tripartite avec une laiterie et ses producteurs dans le Centre-Val de Loire. Les textes législatifs n’y mettent aucun obstacle.
Cette solution paraît en tout état de cause difficile à généraliser ou rendre obligatoire. En outre, il existe des réticences à s’engager dans de telles démarches, les industriels craignant de devenir les « sous-traitants » de la grande distribution. Pour autant, la problématique du partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire et des répercutions en amont comme en aval des chocs de prix reste tout à fait fondamentale. Le cadre des négociations annuelles de la loi de modernisation de l’économie (LME) n’est pas articulé avec le cadre juridique des contrats agricoles de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime. Or, immanquablement, la pression mise sur un industriel dans une négociation commerciale avec la distribution se répercutera sur l’amont, c’est-à-dire la production agricole. Aucune modification législative n’a été apportée à ce stade par votre commission sur ce délicat sujet.
2. La volonté préservée de promouvoir une gestion des risques économiques dans les exploitations agricoles.
La gestion des risques en agriculture constitue un impératif pour la survie des exploitations en cas de survenance d’un aléa. La volatilité des marchés impose, outre le risque climatique, de développer des stratégies de couverture face au risque économique.
La proposition de loi contenait plusieurs dispositions en ce sens, à travers un crédit d’impôt pour la souscription d’instruments de couverture du risque à l’article 6 ter, à travers la transformation de la DPA en RSEA, dont les conditions d’utilisation sont élargies et assouplies, à l’article 6, ou encore à travers la modulation des remboursements des prêts aux agriculteurs, à l’article 4.
Votre rapporteur avait souhaité ajouter une obligation d’assurance face aux risques climatiques pour les jeunes agriculteurs à l’article 6 bis, considérant que les installations aidées visaient à appuyer la pérennisation de nouvelles exploitations agricoles, et que l’assurance face aux risques climatiques constituait une autre condition indispensable de pérennisation.
La rédaction retenue, en visant l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime, impose cette obligation d’assurance que pour les risques agricoles, dont la liste est définie par décret, pour lesquels il existe une offre d’assurance, et pour lesquels une prise en charge partielle des primes d’assurance peut être apportée. Le financement de ces dispositifs d’aide à la souscription d’assurances est désormais assuré intégralement par des crédits européens.
Votre rapporteur a donc proposé le maintien de l’article 6 ter et des autres articles encourageant une meilleure gestion des risques économiques par les agriculteurs.
3. La réduction de la pression normative et l’impératif de simplification.
La réduction de la pression des normes constitue une demande forte du monde économique, et particulièrement des agriculteurs.
Il n’existe pas d’évaluation exhaustive du poids économique des normes en agriculture mais l’expérience vécue par les agriculteurs montre que la complexité des procédures, le renforcement constant des exigences qui pèsent sur eux, en matière de protection de l’environnement, de bien-être animal ou encore d’information du public ou de l’administration, nécessite des investissements et génère des coûts qui grèvent la compétitivité, alors que les agriculteurs des autres États-membres de l’Union européenne et, encore plus, ceux hors Union européenne, ne sont pas soumis aux mêmes exigences.
L’alignement des seuils d’autorisation des installations classées ou encore le principe de non-surtransposition constituent des avancées que votre rapporteur a souhaité préserver lors de la deuxième lecture.
En janvier dernier, le Gouvernement a annoncé que le chantier de la simplification des normes dans le secteur de l’agriculture serait poursuivi en 2016. La proposition de loi fixe un cadre général qui devrait permettre d’accélérer la simplification.
Votre rapporteur insiste pour que les annonces en matière de simplification soient réellement suivies d’effets. Depuis les déclarations du mois de janvier, rien de très précis n’a été proposé aux agriculteurs. L’intérêt d’un cadre institutionnel strict dans lequel s’inscrirait la démarche de simplification, notamment à travers un plan annuel adopté par les professionnels, consisterait précisément à obliger les pouvoirs publics à tenir l’engagement de simplification des normes à travers des mesures concrètes.
B. DES ADAPTATIONS PROPOSÉES PAR VOTRE RAPPORTEUR.
1. La protection du patrimoine privé de l’agriculteur en cas de difficultés économiques.
La crise agricole dans les secteurs de l’élevage, par son ampleur comme par sa durée, fragilise les entreprises agricoles et peut conduire jusqu’à la cessation de paiement.
Les statistiques de défaillances d’entreprises rendent mal compte du phénomène. D’après les données de la Banque de France, en 2015, les tribunaux ont émis 1 378 jugements de redressement ou de liquidation judiciaire, contre 1 407 en 2014 et 1 314 en 2013. Dans le même temps, le ministre de l’agriculture indique que 22 à 25 000 exploitations seraient au bord de la faillite.
En réalité, la quantification du phénomène est délicate, du fait de la multiplicité des formes juridiques prises par l’exploitation agricole.
D’après les informations remontant du terrain, les cessations d’activité agricole pour cause de difficulté économique constituent un phénomène réel et pas du tout marginal.
L’encours moyen de dette des exploitations agricoles s’établit à environ 180 000 euros, et ne cesse d’augmenter. Il peut atteindre plus de 400 000 euros pour les exploitations porcines. L’endettement des agriculteurs constitue un facteur de vulnérabilité face aux crises.
Or, le patrimoine privé des agriculteurs est souvent confondu avec leur patrimoine professionnel, les exposant au risque de « tout perdre » du fait de la crise.
Il existe certes des instruments juridiques pour protéger les biens personnels des agriculteurs :
– Depuis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, les agriculteurs pouvaient effectuer devant notaire une déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale ou de tout bien immobilier non affecté à l’activité professionnelle. L’effet de cette déclaration consistait à protéger les biens en question face aux demandes des créanciers, pour les créances professionnelles nées après la déclaration. L’article 206 de la loi Macron a encore étendu le mécanisme de l’insaisissabilité prévu à l’article L. 526-1 du code de commerce, en rendant insaisissable de plein droit la résidence principale.
– Les agriculteurs peuvent aussi bénéficier de la protection de leurs biens en mettant en déclarant un patrimoine d’affectation, dont le régime est régi par l’article L. 526-6 du code de commerce. Ce mécanisme permet à tout entrepreneur individuel « d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ». Pour les agriculteurs, les terres peuvent également être sorties du patrimoine d’affectation.
Or, la nécessité de présenter des garanties réelles et sérieuses lors de la souscription de prêts bancaires, conduit à écarter ces dispositions. Votre rapporteur a donc estimé nécessaire de diversifier les garanties que pourraient demander les banques lors de la souscription de prêts par les agriculteurs, dans le but de mieux protéger le patrimoine personnel des exploitants agricoles.
D’autres mécanismes que la garantie personnelle peuvent appuyer une demande de prêt : ainsi, les sociétés de caution mutuelle assurent une garantie collective des prêts, moyennant un coût. Cette garantie peut ne couvrir qu’une fraction du capital emprunté (par exemple, 50 à 60 %).
Un amendement n° 6 à l’article 4 a donc été proposé à votre commission, qui l’a accepté, afin que les banques soient dans l’obligation de proposer un mécanisme de cautionnement mutuel aux agriculteurs demandeurs de prêts professionnels, afin qu’ils disposent d’une alternative aux autres formes de garantie.
Votre rapporteur estime par ailleurs qu’une réflexion doit être approfondie sur la protection des biens des agriculteurs, afin que leurs difficultés économiques ne se traduisent pas par la ruine pure et simple.
2. La clarification des règles d’étiquetage de l’origine pour les produits transformés.
L’étiquetage de l’origine constitue une revendication permanente du monde de l’élevage, et contribue à la bonne information des consommateurs ainsi qu’à la valorisation des productions nationales. Il permet la mise en place de stratégies de compétitivité hors prix, lorsque l’étiquetage de l’origine est accompagné d’exigences renforcées de qualité ou de certaines pratiques de production.
L’article 3 prévoit un dispositif de droit à l’information du consommateur a posteriori et sur demande de celui-ci, afin de contourner l’impossibilité d’instaurer un étiquetage obligatoire, compte tenu des termes des règlements européens.
Or, un accord européen a été trouvé à l’issue du Conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne du 14 mars 2016 afin que la France expérimente un étiquetage obligatoire de l’origine pour les produits carnés et laitiers. Une réécriture de l’article 3 est donc apparue nécessaire à votre rapporteur, afin d’inscrire ce principe d’étiquetage obligatoire dans la loi, les modalités d’application étant renvoyées à un décret en Conseil d’État.
Votre rapporteur a donc proposé à votre commission un amendement n° 1 qu’elle a accepté, modifiant l’article L. 112-2 du code de la consommation pour bien préciser le champ d’application de l’étiquetage de l’origine, qui s’étend aux produits transformés contenant de la viande ou du lait, et pour retirer la réserve d’approbation européenne qui empêche sa pleine application aujourd’hui.
L’amendement ne précise pas, comme le faisait l’article 3 dans sa version votée au Sénat en première lecture, que l’indication de l’origine ne concerne que l’ingrédient principal des produits alimentaires, mais laisse le soin au décret en Conseil d’État de définir les modalités précises de l’étiquetage de l’origine. Il est évident que l’indication de l’origine n’a un sens que pour les seuls les ingrédients représentant une part significative du produit alimentaire concerné.
3. Les autres modifications apportées à la proposition de loi.
Votre commission, enfin, a adopté en deuxième lecture quatre amendements de moindre portée :
– un amendement n° 4 de coordination rédactionnelle à l’article 1er bis ;
– un amendement n° 2 de précision à l’article 4, destiné à mieux détailler les modalités de mise en oeuvre des prêts modulables dont doivent pouvoir bénéficier les agriculteurs pour financer leurs investissements : la nouvelle rédaction de l’article 4 propose que les banques soient dans l’obligation de présenter une offre de prêts modulables ;
– un amendement n° 3 de suppression de l’article 7, qui concerne le suramortissement des investissements en agriculture. En effet, les objectifs de l’article 7 sont satisfaits à la fois par l’article 25 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, qui a ouvert le bénéfice du suramortissement Macron aux coopératives agricoles, et l’article 31 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificatives pour 2015 a créé un dispositif spécifique de suramortissement valable en 2016 et 2017 pour les investissements en matière de bâtiments d’élevage et d’installations de stockage d’effluents ;
– enfin, un amendement n° 5 à l’article 11 a repoussé du 30 mars au 15 mai prochain la date de renonciation à l’option de calcul de l’impôt sur le revenu sur la base de la moyenne triennale pour les agriculteurs qui avaient choisi cette modalité de calcul de leur imposition.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 16 mars 2016, la commission des affaires économiques a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi n° 371 (2015-2016) en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – La proposition de loi du Sénat en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire nous revient en deuxième lecture après avoir été rejetée par une motion préalable des députés le 4 février dernier. Cela a empêché toute amélioration ou enrichissement de ce texte, alors qu’il aborde des questions importantes pour l’avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Depuis notre premier examen en décembre, la situation pour les agriculteurs, et en particulier pour les éleveurs, ne s’est pas améliorée. Une fois passé le salon de l’agriculture, caisse de résonnance médiatique d’un cri de désespoir, n’oublions pas l’appel du monde paysan.
La production porcine est trop importante en Europe alors que certains débouchés importants, comme le marché russe, ont été fermés. Les cours du porc n’ont cessé de chuter, loin de l’objectif de 1,40 euro le kilo affiché l’été dernier. En janvier, le journal Les Échos faisait cette prédiction : « une année terrible s’annonce pour les éleveurs de porcs ». En 2015, les prix du lait prix s’établissaient tout juste au-dessus des 300 euros la tonne. La fin des quotas laitiers a poussé les pays producteurs en Europe, en particulier en Europe du Nord, à développer leur production, pour tirer profit d’une demande mondiale… qui n’a pas été au rendez-vous. L’année 2016 s’annonce difficile. Dans le secteur de la viande bovine, l’atonie de la consommation, combinée à des relations commerciales parfois difficiles au sein de la filière, n’offre pas de perspectives très positives. Le marché est aussi tiré vers le bas par la décapitalisation du troupeau laitier. À cela s’ajoute la crise sanitaire dans le secteur du foie gras dans le Sud-Ouest, à cause d’un épisode de grippe aviaire ayant conduit à des mesures drastiques de vide sanitaire.
La gravité de la crise a conduit les pouvoirs publics à mettre en oeuvre des mesures conjoncturelles : plus de 60 millions d’euros au Fonds d’allègement des charges, prise en charge de 50 millions d’euros de cotisations par les fonds d’action sociale de la MSA, ou encore, reports d’échéances bancaires à travers le dispositif de l’année blanche – très difficile cependant à appliquer.
Nécessaires, ces mesures sont néanmoins un peu tardives, et ne changent pas fondamentalement la donne pour l’agriculture française. Nous payons dans cette crise l’incapacité de l’Europe à s’organiser pour en prévenir ou en réparer les effets. La politique agricole commune (PAC) est orientée vers les marchés depuis 1992 et sa dernière réforme a réduit encore les instruments de régulation : fin confirmée des quotas laitiers, fin programmée des quotas de sucre, limitation à des niveaux très réduits des instruments d’intervention sur les marchés – stockage public et aide au stockage privé.
Lundi dernier, le Conseil des ministres de l’agriculture s’est soldé par quelques avancées, tardives et timides : les Européens vont pouvoir activer la clause de déséquilibres graves autorisant les organisations de producteurs de lait à passer des accords, en dérogation au droit de la concurrence, pour stabiliser les marchés. Mais l’efficacité du dispositif dépend de la bonne volonté de l’ensemble des États membres à le mettre en oeuvre : tout le monde doit adopter la même stratégie, sinon ceux qui réduiront volontairement leur production seront les dindons de la farce. Les plafonds d’intervention pour la poudre de lait et le beurre ont été doublés, avec un effet potentiel de retrait du marché des quantités excédentaires. Des mesures d’aide au stockage privé vont être rétablies dans le secteur porcin. Enfin, la Commission européenne a accepté l’expérimentation en France d’un étiquetage des produits carnés et laitiers transformés. Je réécris l’article 3 pour transposer cette décision.
Au-delà des mesures conjoncturelles, cette proposition de loi promeut des mesures structurelles orientées vers des gains de compétitivité de la ferme France, afin de redonner de la solidité à nos filières. La compétitivité est la condition indispensable du succès de notre agriculture, que cela plaise ou non. Il ne s’agit pas seulement de compétitivité-prix. La compétitivité hors-prix, par la qualité, les labels, la montée en gamme, a aussi un rôle à jouer. Mais n’oublions pas la nécessaire maîtrise des coûts de production.
Cette proposition de loi a également servi d’aiguillon. Le Gouvernement a annoncé une évolution des dispositions sur les relations commerciales de la loi de modernisation de l’économie (LME) : cela se fera dans le projet de loi pour la transparence de la vie économique, dite loi Sapin II. Le même texte devrait imposer l’incessibilité des contrats laitiers à titre onéreux, inscrite à l’article 1er bisde la présente proposition de loi à mon initiative. Avant l’avancée européenne de lundi dernier, le Gouvernement avait annoncé un décret imposant aux transformateurs et aux distributeurs l’indication de l’origine de la viande et du lait en tant qu’ingrédients dans les produits transformés, répondant à la préoccupation exprimée à l’article 3. La déduction pour aléas (DPA) a été assouplie à l’article 35 de la loi de finances rectificative pour 2015 dans le même sens que celui proposé à l’article 6 de la proposition de loi, même si le texte adopté par le Parlement va beaucoup moins loin. Un dispositif exceptionnel d’amortissement accéléré de l’investissement dans les bâtiments d’élevage et les installations et matériels de stockage des effluents a été prévu à l’article 31 du même texte, créant un article 39 quinquies FB du code général des impôts, comme ce que nous avions prévu à l’article 7 : je proposerai de supprimer l’article, désormais satisfait. Un assouplissement du régime des installations classées pour la protection de l’environnement concernant les bovins a été annoncé mi-février par le Premier ministre. Le seuil d’autorisation passerait à 800 animaux pour l’élevage bovin allaitant et 400 pour les vaches laitières, tandis que le régime de déclaration avec contrôle périodique disparaîtrait : ces annonces vont dans le sens de l’article 8 qui allège les normes applicables aux agriculteurs. À la veille du salon de l’agriculture, le président de la République a également annoncé une baisse de 7 points des charges sociales supportées par les agriculteurs, répondant en partie à la demande exprimée à l’article 9, qui concernait plutôt les salariés agricoles.
Plusieurs de nos propositions ont donc prospéré, d’autres peuvent encore être défendues : celle d’allonger de cinq à six ans la durée des exonérations de charges d’un jeune qui s’installe, par exemple, n’a pas été reprise. Nous devrons aussi débattre de l’obligation d’assurance pour les jeunes entrant dans le parcours d’installation, que j’avais fait ajouter dans notre proposition de loi. Enfin, exigeons du Gouvernement qu’il propose rapidement aux jeunes des solutions de financement innovantes, comme les prêts de carrière.
Notre proposition de loi a été singulièrement enrichie sur les normes, en particulier grâce aux amendements de Daniel Dubois : outre l’exigence de simplification du droit applicable aux études d’impact, outre la feuille de route annuelle sur la simplification en agriculture négociée avec les professionnels, nous avons adopté le principe très symbolique de suppression d’une norme existante pour toute création de norme nouvelle.
Continuons à défendre la modulation des échéances d’emprunts, même si la rédaction de l’article 4 peut encore être améliorée par un amendement que je vous présenterai. Le crédit d’impôt en faveur de l’assurance des exploitations agricoles que nous avions ajouté à l’article 6 ter, quoique vertueux, n’a pas non plus été repris. Pour alléger les charges générales, nous avions adopté à l’article 11 bis le principe d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties. Nous regrettons aussi que ni la loi de finances, ni la loi de finances rectificative n’aient permis aux agriculteurs de révoquer l’option de calcul de l’impôt à la moyenne triennale, proposée par l’article 11 pour les revenus de l’année 2015.
Deux points sensibles, enfin, sur lesquels nous pourrons encore travailler d’ici l’examen en séance publique : en première lecture, nous avions adopté des dispositions pour améliorer la transparence des relations commerciales, en sanctionnant les opérateurs refusant de répondre aux enquêtes de l’Observatoire des prix et des marges. Nous avions aussi instauré une incessibilité à titre onéreux des contrats laitiers : les rachats de contrats pèsent négativement sur les résultats des producteurs, alors qu’ils sont déjà fragiles. Conservons une approche très pragmatique, afin de renforcer les capacités de régulation des organisations de producteurs. Le récent rapport du Conseil général de l’agriculture (CGAAER) sur l’application de la contractualisation dans le secteur laitier nous invite à mieux encadrer la deuxième génération de contrats qui va être prochainement négociée : renforcer le contrat-cadre rééquilibrerait les relations commerciales. À ce stade, nous avons conservé le principe d’incessibilité des contrats laitiers, afin d’éviter une restructuration laitière inorganisée qui pénaliserait les seuls producteurs.
En cas de défaillance, les agriculteurs, exploitants individuels, sont le plus souvent responsables de leurs dettes professionnelles sur leur patrimoine personnel. Les outils juridiques existants pour les protéger sont peu utilisés. Poursuivons la réflexion sur leur sécurisation économique. Mon amendement à l’article 4 oblige les établissements financiers à proposer un cautionnement mutuel plutôt que des garanties personnelles. D’autres propositions pourront être faites d’ici la séance.
M. Jean-Claude Lenoir, président. – Merci pour votre travail et cette présentation très claire.
M. Henri Cabanel. – Selon vous, les avancées obtenues par Stéphane Le Foll lundi dernier sont timides. On peut toujours surenchérir, mais ces avancées sont indéniables et cohérentes, alors que vous défendez dans cette proposition de loi une réduction des outils de régulation. Le ministre chargé de l’agriculture a sensibilisé ses collègues européens sur l’ampleur européenne de la crise, qui nécessite de déclencher l’article 222 autorisant à déroger au droit de la concurrence pour limiter la production temporairement, afin de relancer les prix. Le commissaire à l’agriculture, Phil Hogan, a approuvé l’expérimentation d’un étiquetage de l’origine en France. J’espère qu’il sera ensuite étendu à toute l’Europe.
Le Gouvernement a tenu sa promesse de débloquer 3 milliards d’euros sur trois ans pour que les agriculteurs et notamment les éleveurs puissent investir, notamment par une baisse des charges. En février, l’allègement de dix points supplémentaires de cotisations sociales des agriculteurs a été salué par le président de la FNSEA lors du salon de l’agriculture. Ce sont des efforts importants.
Dès à présent, réfléchissons à l’organisation de la future PAC, au regard de ce qui se fait à l’échelle mondiale. Certains agriculteurs me faisaient remarquer que la politique agricole commune n’a plus rien d’une politique, et n’a plus rien de « commune ». Une véritable politique doit être menée à l’échelle européenne contre les concurrents des pays tiers et pour se préserver des crises. Quant à l’assurance contre les aléas, les avancées sont réelles sur les risques climatiques mais pour l’étendue des surfaces assurées, il reste des progrès à faire. C’est maintenant que nous devons réfléchir aux orientations pour 2020.
M. Gérard César. – Merci au rapporteur pour sa présentation. Une DPA améliorée et une assurance récolte ne suffiront pas à améliorer la situation, il faut prendre en charge une partie des cotisations sociales. J’attire votre attention sur la situation très difficile des éleveurs avicoles du Sud-Ouest touchés par la crise aviaire et concernés par le vide sanitaire instauré par le ministère de l’agriculture : ils auront six mois sans revenu. Comment les aider ?
M. Joël Labbé. – Ce texte répond à une logique de compétitivité dans un marché mondial, sans prendre en compte véritablement le marché national. C’est encore et toujours la pensée dominante de l’agrandissement, de la modernisation et de l’endettement, avec pour conséquence des sacrifiés, dans l’agriculture paysanne, familiale et ancrée sur le territoire. Il est facile de créer un seuil de 800 animaux pour les autorisations… N’opposez pas les diverses agricultures en comprimant l’une d’elles dans une simple niche alors qu’elle a de l’avenir.
Je salue le travail du ministre chargé de l’agriculture : enfin de la régulation ! C’était donc possible ? Bien sûr, je regrette la limitation dans le temps. Il faudrait réaliser une étude sur la consommation de viande à horizon 2030, car celle-ci stagne actuellement. Le ministre de l’agriculture attend l’étude sur les externalités négatives des exploitations agricoles, afin de cibler des mesures sur celles qui sont le plus respectueuses de l’environnement. Il existe une forte demande de conversion. Il faut, au-delà de la gestion de l’urgence, tracer des perspectives.
Mme Élisabeth Lamure. – Les députés ont eu tort de dédaigner cette proposition de loi : si elle ne résout pas tout, elle comporte des avancées. Ce qui pèse vraiment sur la compétitivité, ce sont les charges, les normes et le poids des procédures administratives – toutes les entreprises, dans tous les secteurs, s’en plaignent. Les récentes négociations commerciales entre les industriels et les distributeurs ont été houleuses – quant aux producteurs, ils en étaient absents. Les négociations ne devraient-elles pas être tripartites ? Si la guerre des prix prévaut, je vois mal comment les meilleures mesures pourraient produire le moindre résultat. La LME a apporté beaucoup, je songe à la suppression des marges arrière, mais les distributeurs sont très forts en stratégies de contournement. Modifier la LME, pourquoi pas, mais accordons-nous d’abord sur les moyens et les finalités. Et si aucune sanction n’est prévue, les textes ne seront pas respectés.
M. Robert Navarro. – Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail. Je voterai avec plaisir ce texte car il y a urgence à soutenir une agriculture raisonnée et raisonnable, dans l’intérêt du pays et des agriculteurs. Une rencontre annuelle de l’ensemble des partenaires pour fixer la stratégie agricole serait très utile. Le rééchelonnement des emprunts des jeunes agriculteurs est une mesure importante.
Arrêtons la surenchère, lorsque nous transposons les normes européennes. Pourquoi un tel zèle, exemplaire et unique ? Tenons enfin compte des intérêts du pays et des conditions de la mondialisation !
M. Daniel Dubois. – La simplification exige de supprimer, réexaminer, diagnostiquer. Ce n’est pas spectaculaire ni porteur, mais cela ne coûte rien et redonne de l’oxygène à notre économie. Le corset a été tissé durant des années, parfois par nous-mêmes. Le desserrer est une question de volonté. Cette action doit être massive, cohérente et assumée dans la durée.
La lettre d’information Blé contact appelle à la vigilance : dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, votée il y a un an, nous avions prévu que les cultures intermédiaires, pièges à azote, puissent être intégralement utilisées dans des méthaniseurs – le Gouvernement en a prévu mille dans les fermes. Or le ministère de l’écologie prépare un arrêté écartant du bénéfice de la nouvelle tarification de rachat d’électricité biogaz les installations utilisant plus de 15 % de cultures intermédiaires. En totale contradiction avec la loi portée par le même ministère ! Ce n’est qu’un exemple, mais je crois que nous serions surpris par le nombre de décrets ou d’arrêtés en contradiction avec nos ambitions de législateurs. Soyons cohérents ! Les agriculteurs sont en difficulté et on leur impose certaines cultures, sur certains territoires, bien sûr sans la moindre indemnisation ; l’article 40 nous a empêchés d’agir. Il faudrait faire chaque année le bilan de ce que le Gouvernement a simplifié et quels en sont les effets.
Mme Sophie Primas. – Je partage la conviction de Franck Montaugé que l’Europe doit bâtir un nouveau projet, sans être trop tatillonne ni trop administrative. Je suis pour une Europe rétrécie sur quelques sujets, comme l’agriculture, l’énergie et l’industrie. Ce matin, devant le groupe d’étude Économie agricole alimentaire, l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (Ilec) a montré comment la difficulté des négociations avec les distributeurs conduirait probablement à une déflation nouvelle de deux points, et jusqu’à sept ou huit points pour certains fournisseurs.
M. Richard Panquiault, le directeur général de l’Ilec, ne nous demande pas de nouvelles lois, seulement de vérifier que les dispositions existantes sont appliquées. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l’Autorité de la concurrence n’en font pas assez.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Vous avez supprimé tant de postes de fonctionnaires dans cette direction !
M. Philippe Leroy. – Cette proposition de loi ne va pas seulement dans le sens de la productivité, elle protège l’étiquetage des labels et les indications géographiques. Elle ne promeut pas une agriculture assassine pour la santé publique. La passion de notre collègue M. Dubois est louable. Si nous votons, la fleur au fusil, la loi biodiversité, nous ajouterons des normes, mères de difficultés multiples. Le Gouvernement a bien raison d’hésiter. Ne nous laissons pas emporter par l’opinion publique qui nous enjoint de sans cesse légiférer.
J’approuve la position de M. Labbé pour l’émergence d’une nouvelle agriculture de qualité, avec des circuits courts – qui diffèrent d’une région à l’autre, d’un secteur à l’autre. Ils sont la meilleure façon de contourner la grande distribution par d’autres réseaux, pour une partie de la production. Mais cela exigera des capitaux et des compétences professionnelles, et ce ne sont pas les agriculteurs les plus pauvres qui seront les mieux placés pour lancer cette dynamique. Je ne promeus ni le retour à l’agriculture de papa, ni les mille vaches, je veux seulement souligner cette réalité. Il faut énormément de capitaux – et de formation, alors que les écoles d’agriculture ne fournissent plus un enseignement spécialisé sur les petites cultures : on devient analphabète ! C’est tout à l’honneur de notre commission que de lancer ce débat prenant une tournure nouvelle, avec des agricultures diverses.
M. Alain Chatillon. – Félicitations au rapporteur pour son travail remarquable, ses connaissances et sa compétence. Je rejoins les propos de M. Dubois et de Mme Primas. La grande distribution pèse sur l’amont – industrie et agriculture : quatre groupes concentrent 92 % du chiffre d’affaires. Nous sommes le seul pays dans ce cas ! Normalement, en cas de rachat, on oblige à un éclatement pour éviter une position dominante. Je m’étonne de l’absence d’intervention en cas de contrats entre deux distributeurs. Juridiquement, ne pourrait-on mener une action, pour aboutir à plus de souplesse ? L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) m’a indiqué la semaine dernière qu’en moyenne 7 % de remises supplémentaires de fin d’année avaient été accordées en 2015, versées soit en argent, soit en « gratuits » ! Dans le même temps, des publicités vantant des prix bas sont diffusées presque en boucle à la radio ou à la télévision. La DGCCRF ne fait pas correctement son travail. Arrêtons avec cette loi des cartels !
Certains agriculteurs sont très en colère. La Direction départementale des territoires (DDT) a mandaté, pour la révision des surfaces, une société indienne ! Cette dernière confond les platanes qui bordent le canal du Midi avec des haies ! Après avoir donné aux communes la responsabilité des opérations sur les permis de construire, la DDT ne fait plus son travail et a recours à une sous-traitance absurde.
M. Daniel Laurent. – Je m’associe à Daniel Dubois pour dénoncer l’excès normatif. Les hauts fonctionnaires des ministères de l’agriculture et de l’environnement que nous avons entendus ont reconnu, en off, que si l’on se contentait d’appliquer les normes européennes, le volume total de ces normes serait réduit d’un tiers. Nous le savons, et nous ne faisons rien.
Je ne mets pas en cause le groupe de travail sur la simplification des normes en agriculture dont Daniel Dubois est le rapporteur, mais il nous appartient de formuler des propositions plus concrètes. Dimanche dernier, des éleveurs de poulets et de pigeons de mon département, la Charente-Maritime, m’ont montré la paperasse qu’on leur demande de remplir. C’est affolant ! Les exploitants cèdent au découragement ; le propriétaire que j’ai rencontré, à 62 ans, veut vendre mais ne trouve pas de repreneur.
M. Franck Montaugé. – Comme le rapporteur l’a souligné, le Gouvernement a récemment pris des mesures répondant à certains objectifs de la proposition de loi. La France n’a jamais autant aidé son agriculture : 4,5 milliards d’euros sous diverses formes, c’est considérable même si cela reste insuffisant.
Le libre marché, dans l’agriculture, ne fonctionne qu’au bénéfice de l’aval, et au détriment des producteurs. L’enjeu est par conséquent de réguler ce marché de manière à préserver la diversité de notre agriculture. Pour des raisons d’efficacité, la question doit être posée au niveau européen. Comme un universitaire américain nous l’a confirmé hier, les États-Unis, pays de la libre concurrence débridée, sont le pays qui apporte le plus d’aides directes à son agriculture ! C’est du reste aussi vrai pour l’industrie. Portons la question à l’agenda de la PAC : si nous manquons l’enjeu de la régulation des prix et des normes, c’en sera fini d’une certaine forme d’agriculture dans notre pays.
La question des normes comporte elle aussi un volet européen. Nous nous rendons demain, avec Daniel Dubois, à Bruxelles – auprès des producteurs de normes… – pour que la simplification soit portée à l’agenda européen. Construisons un rapport de force politique avec l’Europe, et d’abord avec les autres États ; je salue les avancées récemment obtenues par Stéphane Le Foll dans ce domaine.
Enfin, quid des organisations professionnelles à l’échelle européenne ? Le moment est venu de les constituer pour peser sur la future PAC. Sinon, l’agriculture française sera laminée.
M. Alain Chatillon. – Ces organisations existent déjà : j’ai moi-même appartenu pendant dix ans à un organisme européen dans l’agro-alimentaire. Le problème est que les dossiers, dans chaque pays, sont préparés par les fonctionnaires des ministères de tutelle ; mais comme les nôtres ne veulent pas travailler avec l’industrie, nos collègues allemands, italiens ou belges ont trois ans d’avance sur nous.
M. Franck Montaugé. – Ne pointons pas du doigt les fonctionnaires : c’est aussi une question de moyens. Je faisais d’abord référence au secteur agricole proprement dit. Il appartient aux politiques de construire le rapport de forces, mais les organisations représentatives de la profession ont elles aussi un rôle à jouer.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Les États-Unis ont une stratégie de l’agro-alimentaire à l’horizon 2030-2050, non seulement à leur échelle, mais à celle de toute la planète.
Le commissaire européen a – enfin – reconnu la situation de crise agricole, qu’il avait assez sèchement contestée lorsque nous l’avions entendu. En revanche, si Bruxelles autorise la mise en place de leviers à travers des régulations et des diminutions de volume, l’application doit être la même dans tous les États.
Contre la grippe aviaire, des mesures ont bien été prises en faveur des producteurs à hauteur de 130 millions d’euros, mais rien n’est prévu pour les entreprises qui se retrouvent sans approvisionnement. Elles aussi ont besoin d’être aidées pour passer ce cap parfois fatal.
La compétitivité, monsieur Labbé, n’est pas un gros mot et elle s’impose même aux agricultures bio et de label.
L’application de la loi de modernisation de l’économie est un sujet d’importance ; j’entends vos demandes et je m’efforcerai de proposer un amendement sous huit jours. Il convient de rouvrir le débat.
Je conviens avec vous, monsieur Navarro, qu’il faut suivre l’action de la Commission en matière de simplification : les résultats sont maigres pour le moment. L’amendement adopté en première lecture prévoyant de compenser la création d’une norme par une suppression a été particulièrement apprécié sur le terrain.
Cette proposition de loi est une avancée considérable. Elle a pour but d’intervenir d’ores et déjà au plan structurel et de nous positionner sur la prochaine réforme de la PAC.
Le traitement de la question des surfaces non agricoles, évoqué par M. Chatillon, a été particulièrement mal vécu sur le terrain. Je me félicite de la volonté, exprimée dans ce texte, de simplifier les normes, d’apporter de la visibilité à l’agriculture française et de la placer dans les mêmes conditions que ses concurrents européens.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-Claude Lenoir, président. – L’Assemblée nationale ayant rejeté la proposition de loi par l’adoption d’une question préalable, nous avons à examiner notre texte de première lecture. Le rapporteur y a apporté quelques améliorations.
Article 1er
L’article 1er est adopté sans modification.
Article 1er bis (nouveau)
L’amendement rédactionnel n° 4 est adopté.
L’article 1er bis (nouveau) est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 2, 2 bis (nouveau) et 2 ter (nouveau)
L’article 2 est adopté sans modification.
L’article 2 bis (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 2 ter (nouveau) est adopté sans modification.
Article 3
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Mon amendement n° 1 met en place, à titre expérimental, un étiquetage obligatoire des produits carnés et laitiers. C’est la traduction de la concession obtenue à Bruxelles.
M. Gérard César. – C’est très important !
M. Gérard Bailly. – Pourquoi préciser « à titre expérimental » ? Cela introduit un doute quant à l’importance de la mesure.
Le poids des normes est pour une large part une conséquence du verdissement de la PAC. Certains agriculteurs reçoivent jusqu’à 500, voire un millier de remarques, pour des détails aussi triviaux que la prise en compte de l’herbe sous un arbre !
Certes, les pouvoirs publics aident l’agriculture ; mais ce sont avant tout les consommateurs qui en bénéficient à travers la baisse des prix.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Dans sa rédaction initialement adoptée par le Sénat, l’article 3 contournait l’accord européen pour mettre en place l’étiquetage obligatoire ; maintenant que nous l’avons obtenu au niveau européen, il faut modifier le texte en conséquence. Nous n’avons pas d’autre choix que d’introduire la disposition à titre expérimental.
M. Bruno Sido. – Pourquoi ne pas étendre le dispositif aux fruits et légumes ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Les produits carnés et laitiers sont les seuls pour lesquels l’étiquetage obligatoire était impossible.
Mme Sophie Primas. – Je soutiens cet amendement. C’est un premier pas dans le sens de la responsabilisation des consommateurs, à laquelle je crois beaucoup.
L’amendement n° 1 est adopté.
L’article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 4
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Mon amendement n° 2 tient compte des remarques formulées sur le report du paiement des échéances. Le dispositif est conforté et amélioré ; il semble faire l’objet d’un consensus, y compris auprès des banques.
M. Martial Bourquin. – Je m’abstiendrai sur cet amendement.
L’amendement n° 2 est adopté.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Mon amendement n° 6 oblige les banques à proposer aux agriculteurs emprunteurs le recours au cautionnement mutuel. Ce système évite d’engager son patrimoine personnel.
Mme Sophie Primas. – Une telle mesure ne risque-t-elle pas de faire augmenter les taux ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Non. Il s’agit d’une garantie supplémentaire qui couvre, pour environ 2 % du montant total de l’emprunt, 60 % du capital. C’est le seul moyen de protéger les biens privés.
M. Gérard César. – Sur la base du volontariat ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Oui. La banque est obligée de proposer, l’agriculteur n’est pas obligé de souscrire.
M. Bruno Sido. – Le libellé de l’objet laisse croire qu’il s’agit d’une obligation. Or l’un des avantages du métier d’agriculteur, c’est la liberté ! Être comme un bovin à l’étable ne m’intéresse pas. De plus, ce dispositif n’est pas le seul existant : dans le cadre d’une société – et il y a de nombreuses sociétés agricoles – les biens privés ne sont pas emportés par une faillite.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – L’amendement institue simplement une obligation d’informer l’agriculteur de la possibilité de se protéger. Très peu d’emprunteurs connaissent l’existence des sociétés de cautionnement, qui sont beaucoup plus répandues dans l’artisanat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Elles ont évité de nombreuses faillites dans le secteur de la construction. C’est une voie d’avenir.
L’amendement n° 6 est adopté.
L’article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 5, 5 bis (nouveau), 6, 6 bis (nouveau) et 6 ter (nouveau)
L’article 5 est adopté sans modification.
L’article 5 bis (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 6 est adopté sans modification.
L’article 6 bis (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 6 ter (nouveau) est adopté sans modification.
Article 7
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – Mon amendement n° 3 est un amendement de coordination. Des dispositions sur le suramortissement ayant été adoptées dans la loi de finances et la loi de finances rectificative, l’article 7 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 3 est adopté.
L’article 7 est en conséquence supprimé.
Articles 8, 8 bis A (nouveau), 8 bis (nouveau), 9 , 9 bis (nouveau) et 10
L’article 8 est adopté sans modification.
L’article 8 bis A (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 8 bis (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 9 est adopté sans modification.
L’article 9 bis (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 10 est adopté sans modification.
Article 11
M. Daniel Gremillet, rapporteur. – L’amendement n°5 vise à retenir une date plus réaliste.
L’amendement n° 5 est adopté.
L’article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 11 bis (nouveau), 12 et 13
L’article 11 bis (nouveau) est adopté sans modification.
L’article 12 est adopté sans modification.
L’article 13 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président. – Je remercie le rapporteur pour ce travail.
Les sorts des amendements sont repris dans le tableau ci-après.
Article 1er bis (nouveau) |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l’amendement |
M. GREMILLET, rapporteur |
4 |
Cohérence rédactionnelle. |
Adopté |
Article 3 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l’amendement |
M. GREMILLET, rapporteur |
1 |
Obligation d’étiquetage de l’origine des produits carnés et laitiers. |
Adopté |
CHAPITRE II Faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture |
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Article 4 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l’amendement |
M. GREMILLET, rapporteur |
2 |
Obligation de proposer aux agriculteurs des prêts modulables. |
Adopté |
M. GREMILLET, rapporteur |
6 |
Obligation de proposer aux agriculteurs des garanties d’emprunt par des sociétés de caution mutuelle. |
Adopté |
Article 7 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l’amendement |
M. GREMILLET, rapporteur |
3 |
Suppression de l’article. |
Adopté |
CHAPITRE III Alléger les charges qui pèsent sur les entreprises agricoles |
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Article 11 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l’amendement |
M. GREMILLET, rapporteur |
5 |
Recul de la date de renonciation à l’option de calcul de l’impôt sur le revenu sur la base triennale. |
Adopté |
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Mardi 8 mars 2016 :
– Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) : MM. Claude Cochonneau, vice-président, Thierry Fellmann, directeur, et Mme Aline Muzard, responsable des affaires institutionnelles.
Jeudi 10 mars 2016 :
– Coop de France : M. Pascal Viné, délégué général ;
– Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) : Mme Catherine Lion, directrice générale, et M. Jean-Louis Chandellier, directeur du département de l’entreprise et des territoires ;
– Syndicat national des jeunes agriculteurs : M. Antoine Daurelle, membre du bureau, et Mme Claire Cannesson, responsable des affaires publiques.