La place de la femme en agriculture
Nos arrière-grands-mères, nos grands-mères et nos mères étaient considérées comme maîtresse de maison, « mères ménagères et éducatives » (Lagrave 1987). Leur travail était officieux. Ce n’est qu’à partir de 1985 avec l’apparition du statut juridique d’EARL, que la véritable avancée en matière de reconnaissance du travail agricole des femmes a vu le jour. L’épouse de l’exploitant a été reconnue comme associée de celui-ci en plus d’être sa femme. Une reconnaissance professionnelle plus qu’un droit personnel. En 1999, la loi d’orientation agricole institue le statut de « conjointe collaboratrice » permettant un progrès réel en matière de protection sociale des agricultrices.
Je ne suis pas la femme d’un agriculteur, je suis agricultrice.
La reconnaissance statutaire de la femme agricultrice, au-delà du statut social, a fait souffler un vent nouveau sur le monde agricole.
Une reconnaissance au rôle décisif pour un renouveau nécessaire, alors que l’on sait le milieu agricole traversé par des vents conservateurs, aux accents de misogynie, souvent loin d’une certaine idée de la modernité.
Le passage des femmes de l’anonymat à la reconnaissance d’un statut, s’est traduit d’une certaine manière par l’intégration au sein des fermes d’une plus grande diversité, au service de la production agricole, en la rendant plus attractive, plus rayonnante à biens des égards. Il s’est agi, en particulier, de faire cohabiter dans des exploitations de nouvelles sensibilités, souvent différentes, des compétences nouvelles. L’agricultrice avec sa « rigueur féminine » trouve à s’exprimer dans la gestion administrative et comptable de l’exploitation, sa sensibilité trouve dans la vente directe un levier d’épanouissement, et sa créativité, dans la recherche de nouveaux procédés ou débouchés au sein de sa ferme.
La nouvelle génération d’agricultrices se caractérise pour une large part par le suivi d’un cursus scolaire, voire d’études longues à fort potentiel, et par-là, par une prise de distance significative avec la crainte, la peur de connaître la précarité, l’anonymat. Bagage scolaire en main, elles n’hésitent désormais plus à s’expatrier quelques années afin acquérir des compétences utiles à la gestion de l’exploitation agricole.
L’agricultrice est désormais aux avant-postes. Celui des négociations, avec les organisations agricoles, avec le fournisseur, avec les divers prestataires. Elles sont même bien souvent le seul lien avec l’environnement social proche de l’exploitation (entreprises, administrations, associations, etc.). A de nombreuses occasions, elles démontrent de compétences qui font souvent défauts aux hommes plus centrés sur l’acte de production. Or, ces aptitudes sont au cœur du métier de chef d’exploitation aujourd’hui et à plus fortes raisons, demain.
Au-delà du statut agricole, les femmes jouissent a priori d’une place de choix et surtout non négligeable au sein de la société. En effet, ces femmes sont à la fois « mère de famille » et « conjointe ». Elles endossent ces rôles, en plus de leur travail sur l’exploitation, et dans un contexte souvent hostile : désertification démographique, médicale, disparition des services de proximité, d’assistance à l’enfance et aux personnes âgées, de services commerciaux de première nécessité. Et ce, alors même qu’il est difficilement fait une distinction entre vie sociale et vie professionnelle, une confusion qui rend l’hostilité du milieu rural encore plus difficile à vivre par moment.
Pourtant, et ce malgré une réalité qui plaide pour une reconnaissance efficiente et acceptée, des réserves persistent à notre endroit. Comme à chaque fois, il est demandé aux femmes de redoubler d’effort. Cela nécessite encore de passer par des étapes de la justification de notre savoir-faire pour être enfin acceptée pour ce que nous sommes « Agricultrice » à part entière.
Agnès, Christa, Gwladys et Karine. Ces agricultrices qui se battent tous les jours pour que ce métier vive et perdure.
Laurence Cormier Présidente de l’Association Les Elles de la Terre