Les gros maux

Nous sommes parties sans rien. Nous sommes parties de rien. Nous ne sommes pas toutes issues du milieu agricole. Nous exerçons parfois un métier différent de celui de notre conjoint ou époux. Pour certaines d’entre nous, nous sommes passées par la même formation et sommes titulaires du même diplôme que nos confrères et même plus parfois.

Nous sommes célibataires, femmes d’agriculteur ou conjointes collaboratrices, divorcées, veuves ou jeunes installées.

Nous sommes dans la même souffrance.

Le temps marque nos visage et nos corps. De nombreux événements viennent déstabiliser notre quotidien : la disparition de l’être cher, le départ des enfants, le célibat, la charge de travail, les problèmes économiques, les on-dits, les non-dits. Tous ces instants de notre vie et la différence de culture sociale regroupent le poids de nos maux qui peu à peu nous isolent de la société.

L’isolement est une tragédie qui touche fortement l’agriculture.

Nous sommes pleines de pudeur, c’est ce qui nous amènes à rester silencieuse, à ne pas avouer l’échec, le désenchantement, l’écœurement.

Il ne nous reste plus qu’à nous taire et avancer. La douleur physique et psychique restent un sujet tabou dans ce milieu. Chez les paysans, on va toujours jusqu’au bout sans se plaindre.

Pour certaines d’entre nous, avant c’était colonies de vacances, sports d’hiver, vacances d’été, week-end, sorties etc … Nous vivions une enfance citadine et pour d’autre campagnarde. Nous étions dans l’insouciance de notre adolescence, de jeune adulte sans tabou. Nous allions boulot et loisirs sans contrainte.

Jusqu’au moment où tout s’accélère ! Le mot d’ordre devient le travail et les problèmes ne cessent d’apparaître.

Vient la rupture.

« Pas le droit de se plaindre » est notre quotidien, cette phrase entêtante qui revient chaque matin. Nous sommes en état d’épuisement physique et moral. Nous ne comprenons pas ce qui nous arrive. Nous avons l’impression de brûler de l’intérieur, d’être vide. Toujours au bord des larmes, les sujets de dispute sont parfois futiles et nos colères sont bidons. Cette tension persiste et nous envahit au quotidien. Recommencer, recommencer, recommencer, sans répit.

C’est ce qui m’est arrivée. Étant du genre positif et enjoué, j’ai souvent pris le parti de « T’inquiètes, je gère ». J’avance la tête haute, le sourire aux lèvres.

J’aime la vie !

J’ai commencé dans ce métier avec des rêves, des envies plein la tête et en ayant de l’énergie à revendre. Mais ça c’était avant.

A force de me dire que je n’ai pas le droit de me plaindre, je prends la vie à bras le corps et je ne m’écoute plus. Je suis à fleur de peau. L’envie de pleurer est toujours présente. Je crie mes maux avec des mots, avec mon cœur mes hauts de cœur.
Dépression ou burn-out ? Qu’elle est la différence ? Le vide ressenti est le même.

Et pourquoi certaines auraient le droit de se plaindre et pas moi. Je revendique dorénavant ce droit. Nous avons toute le besoin de parler et de crier ce qui ne va pas.

Nous ne sommes pas des super women ordinaires. Nous sommes agricultrices, cheffes d’exploitation, femmes d’agriculteur, veuves ou jeunes installées. N’ayons pas honte de nous plaindre. De dire quand ça ne va pas. Il faut sortir de l’isolement et des non-dits. Les maux nous rongent et nous consument de jour en jour. Il est vital pour nous, femmes de l’agriculture, de dire les choses simplement.
N’ayons pas peur d’être aidées. Le premier pas est le plus dur mais le plus salutaire. « N’attendons pas que la mort nous trouve du talent, aimons nous vivantes » [François Valéry]. Il ne faut pas que le mot suicide devienne du genre féminin.

Moi ! Je suis aidée par l’amour des miens et de ma famille ! J’ai aussi rencontré quatre filles formidables. Nous sommes dans cette même galère, alignons les mêmes emmerdes et avons un moral d’acier, parées pour mordre la vie à pleine dent. Ensemble nous sommes plus fortes. Nous sommes le Club des cinq. Bibliothèque verte !!! qui l’eut cru.
Voilà, j’ai déposé mon sac. J’espère que ce texte vous aidera à y voir plus claire. N’hésitez pas à parler. Je vous confirme « Ça fait un bien fou ».

Laurence Cormier

La dépression est une maladie psychosomatique due à un dérèglement de l’humeur. L’humeur se définit comme la disposition affective et émotionnelle qui conditionne la manière dont nous ressentons les événements qui normalement engendrent de la joie ou de la tristesse. [source www.etat-depressif.com ]

Burn-out est un syndrome d’épuisement professionnel caractérisé par une fatigue physique et psychique intense, généré par des sentiments d’impuissance et de désespoir. [source www.larousse.fr]. Un désinvestissement de l’activité professionnelle et un sentiment d’échec et d’incompétence dans le travail. Le syndrome d’épuisement professionnel est considéré comme le résultat d’un stress professionnel chronique (par exemple, lié à une surcharge de travail). L’individu, ne parvenant pas à faire face aux exigences de son environnement professionnel, voit son énergie, sa motivation et son estime de soi décliner. [Source fr.wikipedia.org]

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