L’alarme retentit depuis maintenant presque deux ans. Deux ans que l’élevage laitier européen a vu la fin de ses quotas laitiers, et avec eux, les derniers vrais outils efficaces de gestion des marchés. Libérant au 1er avril 2015 les volumes et avec eux, la production laitière européenne anticipée, le marché n’a pas été en capacité d’absorber ces nouveaux volumes. Dès septembre 2015, les premiers élevages connaissaient les premières difficultés de trésorerie dues à la baisse systémique des prix du lait.

 

Le lait n’a malheureusement pas été l’unique filière éprouvée au cours des années 2015 et 2016. Le marché du porc reprend seulement des couleurs, porté par des demandes internationales fortes. Quant à la viande bovine, elle continue de faire face à la volatilité des prix, renforcée en cela par la crise du lait dont les réformes de cheptel sont venues encombrer le marché et provoquer la saturation.

 

A la parution, il y a quelques jours, du compte national de l’agriculture, combiné au récent rapport de la Mutuelle sociale agricole présenté fin juin en Assemblée général, on ne peut qu’être affligé. Le revenu moyen d’un exploitant agricole français net de charge enregistre en 2016 un recul moyen de 22%. Corrélativement à cela, la part des agriculteurs ayant gagné moins de 350 euros en 2016 devrait être portée à près de 50%, une fois toutes les déclarations de revenus établies.

 

Qui aurait cru pareil dénouement 55 ans après ? Car à ses débuts en 1962, la politique agricole commune poursuivait l’objectif « d’assurer […] un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ». Un objectif que le traité sur le fonctionnement de l’UE apprécie concomitamment à celui de la stabilisation des marchés (§1., c., art.39 TFUE). L’échec est politique, il impose le sursaut. Livrant les agriculteurs européens aux quatre vents de la politique libre-échangiste de l’UE, la PAC a, sans livrer bataille, abandonné ses fondements. De politique de gestion des marchés et de ses acteurs, elle a de facto consacré le marché international pour unique horizon et sacrifié les revenus agricoles.

 

Responsables politiques européens, comment redonner espoir en la politique agricole commune ?

 

Le 13 juin dernier, le Parlement européen donnait le feu vert à ses représentants pour entamer les discussions sur le règlement « Omnibus » avec le Conseil et la Commission européenne. Le premier « trilogue » avait lieu le mercredi 5 juillet 2017.

 

La part du budget européen affecté à la dépense agricole est d’environ 40% (62 milliards – Programme « Croissance durable : ressources naturelles »). Une part importante qui attire les convoitises, « la part du lion » diraient ses détracteurs. Je ne suis bien évidemment pas de ceux-là. Défenseur de la cause des agriculteurs, je ne peux cependant pas me contenter d’un combat qui consisterait en un maintien pur et simple des dotations allouées à la PAC. Défenseur du revenu des agriculteurs, je souhaite pour ce faire que la politique agricole évolue. Elle doit retrouver ses instruments, sa légitimité, sa valeur ajoutée. Et cela même au prix d’une baisse budgétaire de la PAC.

 

Les dépenses agricoles sont affectées pour 65 % (42 milliards – FEAGA) d’entre elles aux paiements directs (DPB). Ces paiements interviennent sans considération de revenu ni de prix, réparti selon l’éligibilité des exploitations, indépendamment de la production et attribué par hectare. Ils incarnent la perte de sens totale dont souffre la PAC, une perte de sens politique. En outre, subventionnant aveuglément l’agriculture en fonction de la surface, elle a délaissé le qualitatif pour le quantitatif, et abandonné ce qui faisait d’elle une politique agricole. A travers les scénarios de baisse budgétaire publiés par la Commission européenne fin juin, la trajectoire des finances publiques européennes mise en évidence est clairement défavorable. La PAC, en tant que premier poste de dépenses, sera la première impacter. Il va donc s’agir de faire mieux avec moins. Cela impose donc un « recentrage » sur des actions de soutien et de garanties aux revenus. J’en suis convaincu.

 

Demain la PAC devra donc asseoir une réelle gestion des marchés, protectrice des revenus agricoles et garante de la stabilité des prix contre la volatilité, au prix même d’une baisse des crédits. C’est une perspective responsable et courageuse.

 

Pour l’heure, le cadre réglementaire doit évoluer. La négociation en cours doit emporter avec elle les contre-indications de la politique de la concurrence, et sa réglementation ambivalente sur la coopération des producteurs, tandis que l’aval des filières se concentre et consolide sa domination et sa captation excessive de la valeur ajoutée.

PE Cormier

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