** Je viens de lire le billet des elles de la terre. « ne pas se taire ! » et pourtant je ne fais que ça. me taire.
pourtant je fais partie de ces agriculteurs qui sont au fond. Que l’on juge sans savoir leur histoire. Que l’on fait passer pour des incapables alors que les épaules sont déjà chargées, le cœur vide et la tête baissée. Ceux qui arrivent à afficher un sourire et dire « ça va bien », on vous dira qu’ils ne vont pas si mal en fait. Alors qu’une fois la porte close, le chaos est pourtant bien là. Entre le sentiment d’échec, la fatigue morale, la tristesse, la déception, l’incompréhension et l’abandon. Oui l’abandon, pas que les autres vous abandonne. Mais vous vous abandonnez vous même. Vous ne devenez qu’un porte-monnaie vide incapable de payer ses factures, un éleveur sans passion qui délaisse ses animaux, une mère sans ses petits.
Vous n’avez plus rien à perdre. Vous avez perdu vos enfants (par choix en plus !), vous avez perdu votre rêve, votre passion, votre goût pour la vie. Vous êtes seule. Même si vous êtes entourée, vous êtes seule. Seule parce que vous avez cette sensation que personne ne pourrait vous comprendre. Mais vous n’en parlez pas. SURTOUT PAS. Vous avez honte. Vous savez que les gens vous jugent. Et même si avant vous ne vous souciiez pas du regard des autres, il devient maintenant un coup de poignard en plus en plein cœur. Et vous n’en parlez toujours pas. Vous faites même le mort. Vous restez enfermée, vous n’allez plus à la boite aux lettres, vous ne répondez plus au téléphone. Jusqu’à vouloir mourir. Parce que ça y est, vous êtes la proie acculée que le prédateur va dévorer sans même l’avoir achevé. Vous voudriez juste que tout s’arrête. Net. Et parce que vous y voyez la solution économique la plus appropriée pour protéger vos enfants. Mais pour les autres, vous souriez. Vous ne voulez pas paraître faible. D’autant plus qu’en tant que femme vous en avez entendu déjà pas mal sur votre incapacité à vous en sortir seule.
Et vous vous levez tous les jours. A contre cœur. Et vous vendez tout sur un coup de tête parce que de toute façon vous vous sentez incapable. Et fatiguée. quand tu es décidée à avoir la paix éternelle, le repos, vos amis vous secouent. Parce que ceux qui vous connaissent, même si vous leur parlez peu, ils savent que ce sourire est vide, qu’il n’est qu’une façade. Et quand vous parvenez à vous raisonner un peu, vous accepter de l’aide, discrète, mais quand même. Mais la dépression est toujours présente. Et même si vous vous faites aider, vous vous sentez honteuse. Honteuse de ne pas avoir réussi à être forte, à trouver la ressource pour vous battre. C’est comme si tous les jours votre corps fonctionnait mais que votre âme l’avait déjà quitté. Vous êtes détachée de vous-même. Et vous jouez bien le jeu de la personne épanouie qui va bien. Alors que dans votre tête c’est toujours le néant. Ah vous pleurez, beaucoup, parce la fatigue psychologique se mêle au manque de sommeil. Parce que se coucher le soir ça veut dire être obligée de faire face à une nouvelle journée au réveil suivant.
Et un beau jour, on vous secoue encore plus fort. Vous vous ouvrez un peu plus. Comme une plaie infectée, on finit par y voir la profondeur et l’état. Et ceux qui vous aiment sont le pansement, l’antibiotique et les médecins. Alors vous vous réveillez, un peu, et vous voudriez hurler au monde entier que c’est pas ça que vous vouliez. Vous ce que vous vouliez c’était vivre, vivre de votre rêve de gamine, vivre tout simplement. Et vous aimeriez réussir à redire un jour que la vie est belle. Mais le chemin est long. C’est long de se défaire de la honte de l’échec.
Mais vous décidez de tenter le chemin parce qu’avec ce qui est déjà parcouru, finalement vous serez peut-être endurant.
Et vous finissez par échanger avec des personnes qui vivent des situations similaires, et ce sentiment de solitude se dissipe petit à petit. Très lentement. Il faut repartir de zéro. Se reconstruire, pierre après pierre.
Mais s’il y a une chose que j’ai enfin compris après plus d’un an de descente aux enfers, c’est que je ne suis pas la seule dans cette situation. Pas la seule à ressentir toute cette honte. Pas la seule à vouloir arrêter de vivre pour être en paix. Et qu’il faut en parler. Parler parce que pour encore de trop nombreuses personnes dans la même situation, l’issue finale est fatale. Et que la honte n’est pas justifiée. Surtout quand vous travaillez dans un milieu gangrené.

J’ai essayé de réaliser un rêve. Est ce un crime de rêver ? Est ce un crime d’essayer ? Est ce un crime d’échouer ?
N’échoue pas que celui qui n’essaie pas…

Je n’écris pas ce pavé pour me lamenter. Ni avoir votre compassion. Ni que vous soyez désolés. Bien au contraire. Je ne suis ni fière de moi, ni courageuse.
Mais parce que pendant que vous entendez aux infos que les gens se demandent si le droit du travail leur permet de ne pas aller travailler passé une certaine température, d’autres se crèvent le cul par tous les temps pour vous nourrir, et 7 jours sur 7. C’est leur choix de vie. Mais à quel prix ?
Et je vous écris aussi parce que tous les 2 jours, en France, un agriculteur se suicide. Un chiffre plus important que dans toutes les autres catégories socio-professionnelles…
Et parce que la dépression c’est une maladie invisible. Elle n’a pas forcément d’enseigne lumineuse au-dessus de la tête de celui qui la vit. Et que ça peut être n’importe qui autour de vous.

Je remercie les Elles de la Terre pour leur soutien. Pour m’avoir fait comprendre que je ne suis pas seule. Et que dans ce milieu, certains ont encore des valeurs humaines bienveillantes et saines.

Et merci à tous mes amis et à ma maman qui endurent mes humeurs et me relèvent à chaque chute. Et félicitation à mes enfants d’être aussi géniaux avec tout ce qu’ils vivent depuis 2 ans.

« Si on comprenait, on ne pourrait plus juger » André Malraux

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