Mes consœurs et confrères vétérinaires qui côtoient les éleveurs constatent, partout en France, une baisse de moral sans précédent chez leurs clients.
Depuis plus de 25 ans que j’exerce, je n’ai jamais vu autant de jeunes éleveurs arrêter.

Ainsi, récemment, Fabien, la trentaine, naguère dynamique et souriant, aujourd’hui tendu et fermé.
Alors que je pensais l’avoir dans ma clientèle jusqu’à ma retraite, je viens d’apprendre qu’il arrêtera dans moins d’un an, à la retraite de ses parents.

Et ce n’est pas un cas isolé. Le manque de rentabilité de l’élevage laitier, et pire encore sans doute, le manque de considération croissant de la société envers les éleveurs, ont eu raison de sa vocation. Si on ajoute à cela une pénibilité réelle du métier (j’invite certains syndicalistes de la SNCF à venir faire un stage en exploitation agricole pour voir ce qu’est réellement un travail pénible), une telle désaffection du métier d’éleveur n’est pas étonnante.

Je l’ai dit, le cas de Fabien n’est pas isolé. Il y a aussi Daniel, qui pourtant a acheté un robot, et qui a prévu d’arrêter.

D’autres tiennent encore, comme le petit village gaulois qui résiste encore et toujours à la crise. Mais pour combien de temps ?

Et puis il y a Antoine. Antoine, chez qui je vais régulièrement faire mon suivi de fécondité. En fouillant les vaches et en faisant les échographies, on discute. De son fils qui grandit, de sa conception du métier, qui est raisonnable. Il ne pousse pas trop ses vaches, qu’il maintient en dessous du seuil de haute production. Ainsi, elles ne sont pas trop fatiguées, donc pas trop malades, et reproduisent bien. Il a la chance d’avoir ses parents, pour encore pas mal de temps, dans le GAEC. Sa mère est née la même année que moi (1967), ce qui ne me rajeunit pas quand je vois ce grand gaillard. Quand ses parents prendront leur retraite, il achètera un robot. La plus-value du lait due à l’appellation Brie de Meaux lui permet de gagner sa vie convenablement. Il a le moral.
Antoine est la lumière qui perce dans le brouillard, aller travailler chez lui me redonne le sourire.

L’avenir dira si le sourire l’emportera sur la tristesse.
Sincèrement, je l’espère. Ça dépend de nous tous.

Texte de Tri Tran Cong #VétérinaireRural

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